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KÁROLY KINCSES : Endre Rozsda, Peintre Photographe

 

Rozsda est un peintre et dessinateur reconnu. Ses oeuvres, tant peintures que dessins, font déjà partie du patrimoine artistique mondial, notamment grâce à l’action de l’Association des Amis d’Endre Rozsda, qui siège à Paris, au Bateau Lavoir. Des historiens d’art hongrois et étrangers, se sont consacrés et continuent à s’intéresser à ces deux aspects de son oeuvre. De nombreux ouvrages ont été publiés sur sa vie, et sur son oeuvre graphique.

Paraphraser leurs écrits n’est évidemment pas notre objectif : nous nous sommes fixé une tâche originale et bien plus importante. Nous allons montrer un nouvel aspect de l’oeuvre de Rozsda, resté dans l’ombre, qu’il a poursuivi sa vie durant, la photographie, mais qui jusqu’à maintenant était à peine soupçonné, et dont les fruits ne sont encore connus que de quelques proches privilégiés.

L’analyse que nous proposons ici est soutenue par notre conviction que l’artiste

authentique ne se dévoile pas par ses choix ou procédés techniques, mais par

l’ensemble de l’expression de ses idées et de son inspiration. S’il en est ainsi,

on peut admettre que la matérialisation de cette inspiration est bien plus

importante que la technique utilisée. Et ce, qu’il s’agisse de peinture, de dessin,

de sculpture ou même de photographie. Evidemment. Nous n’allons considérer

l’oeuvre du peintre, du graphiste, du dessinateur, que dans la mesure où elle est

utile à une meilleure compréhension de la production artistique du photographe

et de sa biographie.

Nous proposons cet ouvrage consacré à la création photographique de Rozsda

pour faire une synthèse de l’oeuvre considérable de l’artiste en donnant

nécessairement la même importance à ses différents aspects, car une oeuvre

artistique constitue un tout. (…)

L’exposition de Budapest en automne 2004 à la maison Mai Manó, celle de

Paris en 2005 dans le  cadre de mois de la photo, ainsi que le livre que vous

avez entre vos mains, réunissent ses meilleurs images en noir et blanc, et en

couleur, travail d’un demi-siècle.

Ces présentations intéresseront tous ceux qui connaissent déjà le travail du

peintre et cherchent à examiner les ressemblances et les différences des

thèmes et des traitements, mais aussi les passionnés de photo qui veulent connaître la part de l’influence d’une vision enracinée dans les beaux arts, ou bien encore celles et ceux qui ignorent les théories de l’esthétique ou l’histoire de l’art mais veulent découvrir tout simplement les merveilleuses photographies d’un homme d’une culture visuelle exceptionnelle et d’une sensibilité extraordinaire.

Cet ouvrage a donc été élaboré pour tous les amateurs, en hongrois et en français, ainsi qu’avec un résumé en anglais ; il comporte plus de 100 clichés en noir et blanc et en couleur.

Le photographe (1939)

Erzsébet Rozsda avec son appareil photo (1933)

De la vie de l’artiste...

« Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir une légende: c’est pourtant vrai pour Endre Rozsda. Le premier surréaliste hongrois. Le grand inconnu de l’histoire de l’art hongroise. L’ami de Breton, le meilleur professeur hongrois de la compagne de Picasso, Françoise Gilot. Rozsda, dont la vie changea de cours le jour où il vit la main de Bartók. L’Ecole Européenne, Max Ernst, Paris, notre parisien… » Nous pourrions nous satisfaire de cette citation de Péter Esterhazy, mais pour mieux faire, ajoutons quelque chose. Rozsda disait souvent, et n’en démordait pas, que les événements réels de son existence étaient secondaires en comparaison des événements inventés, des expériences virtuelles, qui ont pris forme dans son imagination d’artiste. Elles reviennent souvent sous des apparences différentes, alors que les éléments vraiment autobiographiques ne font l’objet que d’esquisses grossières dans ses toiles ou ses dessins. Nous allons tenter d’examiner la chronologie de ces événements autobiographiques pour les faire correspondre, dans le temps et dans l’espace, avec les photos qu’il nous a laissées.

Dans sa famille, qui au début de ce 20éme siècle, tenait une place importante

dans la vie sociale et économique de la ville de Mohàcs, sous le patronyme

de Rosenthal, Endre Rozsda, né en 1913, n’était pas le premier à se consacrer

sérieusement à la photo. Sa soeur cadette, Erzsébet (1915 – 2001) a été,

pendant de longues années, photographe professionnelle de sa ville, sous

l’enseigne de « Foto Rozsda », pour les mariages, les portraits, comme tout

photographe d’atelier de l’époque. Mais cinq ans avant de disparaître,

considérant que ses travaux étaient sans valeur artistique, elle a brûlé tous

ses clichés. On peut en tirer deux conclusions. En premier lieu, qu’Erzsébet

ne considérait la photo que comme une source de revenus, ce qui est

peut-être dommage, mais qu’elle avait conservé un sens des valeurs artistiques

et de leurs exigences, ce qui n’est pas pour surprendre, lorsqu’on sait qu’elle

avait appris son métier, au début des années 30, dans les ateliers renommés

de Joseph Pécsi, rue Dorottya. Eva Besnyő, Zsuzsa Pintér, Margit Kelen, Miklós

Redner, László Bruck s’y trouvaient à la même époque, ainsi que Robert Capa

- de son vrai nom Endre Friedman – alors qu’il courtisait les jeunes lycéennes…

C’est donc là qu’étudiait Erzsébet Rozsda, qui a fait une série de   portraits de

son frère aîné comme travail de diplôme. Fort heureusement, quelque-uns de

ces portraits ont pu être récupérés pour la collection et confirment trois points :

tout d’abord, qu’Erzsébet Rozsda était une photographe de talent. Ensuite,

que Joseph Pécsi devait être un excellent professeur. Que Rozsda, enfin, était

un ravissant jeune homme.

Au demeurant, sa jeune soeur ne devint finalement photographe professionnelle

qu’en 1948, par nécessité, car le régime communiste devait exproprier la briqueterie familiale, et qu’il fallait bien vivre... Soit dit en passant, la maison de famille des Rosenthal, construite en 1927, était l’une des plus belles de Mohàcs, et son intérieur à ce jour est resté intact, bien que l’Etat en ait fait une maison de santé. Par la suite, cette demeure a été reprise par une banque. Il est question aujourd’hui d’y apposer une plaque commémorative à la mémoire de Rozsda et nous ne pouvons que souscrire à ce projet.

Endre Rozsda par Erzsébet Rozsda (1933)

Le frère aîné d’Erzsébet a donc été attiré par la peinture, le dessin, mais aussi par la photographie, dès l’adolescence. Il a 17 ans, en 1930, quand il « monte » à Budapest. Deux ans plus tard il devient l’élève de Vilmos Aba-Novàk pour poursuivre ses études dans son atelier privé. A cette époque, l’artiste en chrysalide est plutôt sensible à l’oeuvre de Rippl-Ronai et Csontvàry. En revanche, son orientation artistique est très fortement influencée par la découverte de Bartók. Invité par Margit Anna et son époux Imre Àmos à un concert de Bartók, Rozsda réalise, en écoutant le maître, à quel point il est important pour un créateur de s’exprimer soi-même, d’interpréter ses idées dans une totale indépendance. Cette anecdote revient souvent dans les conversations avec Rozsda, à tel point que notre écrivain national, Krisztina Passuth le mentionne dans sa biographie de l’artiste: « Depuis ma place je pouvais observer la main de Bartók. Son jeu m’enchanta, sa musique me bouleversa. J’avais l’impression qu’il jugeait ma propre position d’artiste. Il me démontra que je n’étais pas contemporain de l’époque où je vivais.»

En mars 1938, Rozsda se rend à Paris avec son ami sculpteur, Lajos Barta.

Et c’est là qu’il se rapproche, sans y adhérer, des surréalistes français.

Rozsda a alors tout juste 25 ans. L’oeuvre de Max Ernst l’influence beaucoup,

mais il se refuse à le copier : il n’entre dans « l’orbite » de personne.

Il tâtonne, en un itinéraire personnel. Tout l’intéresse : il goûte à toutes les

tendances de l’art, jusqu’à ce qu’il trouve son expression personnelle qui

ne se confond avec aucune autre. De nombreuses personnalités de la vie

artistique d’alors figuraient parmi ses amis, tels Árpád Szenes, Viera da Silva,

Etienne Hajdu. Il fit aussi la connaissance de Giacometti, Miro et Tanguay.

C’est à cette même époque qu’il fut le profeseur de peinture de Françoise Gilot,

future compagne de Picasso, avec laquelle il est resté très lié jusqu’à la fin de

sa vie. « Ces deux dernières années, j’ai travaillé sous la direction d’un peintre

hongrois, Endre Rozsda… »

 

Pendant tout ce temps, le professeur apprenait lui-même. A partir de 1939,

et pour trois ans, il fréquente l’Ecole du Louvre. Cet effort porte ses fruits :

il expose ses peintures avec les sculptures de Lajos Barta, rue Schoelcher.

Durant cette période très perturbée du début de la deuxième guerre mondiale,

Rozsda a d’autres préoccupations que l’art. Il se joint à la Résistance française,

et lorsque la Gestapo commence à le rechercher, en 1943, il décide de

retourner à Budapest avec son ami Lajos Barta. 

 

A peine arrivés, ils y organisent une exposition commune à la Maison des 

Artistes « Alkotás » L’accueil de la presse hongroise est tiède. Mais cela a t-il une importance devant la menace du « Monstre Nazi » auquel Rozsda a survécu. Dès 1945, il dirige l’enseignement de la peinture à l’Association Culturelle des Travailleurs où les « prolétaires » apprennent cet art.

La même année, il participe, dans son atelier du boulevard Vàci, au lancement de « l’Ecole Européenne » (mouvement réunissant poètes, peintres, sculpteurs et philosophes) avec Árpád Mezei, Imre Pán et Endre Bálint, qui rejoint ce groupe un peu plus tard. Rozsda en devient un des membres les plus influents. « Nous pensions que l’existence d’un gouvernement démocratique rendrait enfin possible la création d’un art de niveau occidental en Hongrie, une chose impossible jusqu’alors. (…) Les premières semaines furent l‘équivalent d’une lune de miel: Miklós Szentkuthy venait régulièrement à « l’Ecole Européenne » – je m’entendais très bien avec lui – et Sándor Weöres y était parfois aussi. L’aspect le plus intéressant de « l’Ecole Européenne » était sa prise de position artistique – il y avait énormément de jeunes qui venaient comme attirés par une lumière, c’est pourquoi nous avions l’impression de construire quelque chose de bien. »

Autoportrait (1939)

Les communistes staliniens arrivés en 1948, se préparent à persécuter ce

groupement d’artistes libres, bien loin de leur idéologie, et de ce fait peu

enclins à suivre les directives du Parti. C’est pourquoi, les principaux

membres de « l’Ecole Européenne » : l’académicien Pál Gégesi Kis, Margit

Anna, Imre Pán et Rozsda décident-ils de mettre fin à son activité lors d’une

réunion, en 1949, au « Café Japon ». Au sujet de cet événement, Rozsda

écrit : « Au Japon, on a tué un Européen. » Lors d’une interview trente ans

plus tard, Rozsda dit qu’en réalité, c’est bien l’Ecole Européenne qui l’a

retenu à Budapest, car dès cette époque il aurait pu revenir à Paris.

Ce retour fut impossible, jusqu’en 1956. C’est seulement qu’il s’échappe,

avec son ami Antal Székely, en franchissant la frontière autrichienne, pour

aller s’installer définitivement dans la capitale française. Il avait alors 43 ans.

Paris, comme beaucoup d’autres villes occidentales, s’était ouverte pour

accueillir les réfugiés de la révolution hongroise contre les Soviétiques.

A partir de 1957, l’amitié entre Rozsda et André Breton s’est approfondie.

Breton considérait comme surréalistes l’attitude et le regard artistiques de

Rozsda, bien que son travail eût très peu de liens formels avec son

mouvement. En 1979 Rozsda emménage dans les célèbres ateliers de

Bateau Lavoir à Montmartre.

Dès cette période son activité artistique est parfaitement bien connue.

Des créations des expositions, des prix....comme il se doit. Pendant ses

dernières années il dut affronter la maladie de Parkinson, la coordination de ses mouvements devenant alors difficile, mais tolérable grâce à l’aide des médicaments. Il meurt à l’âge de 86 ans, alors que son oeuvre commence une nouvelle vie. Nous avons pensé qu’il était important de raconter ces quelques étapes de la vie d’Endre Rozsda pour que son oeuvre ne soit pas présentée dans le vide.

Points de convergence entre l’oeuvre photographique et la peinture

Les idées qu’expriment les « Méditations » de Rozsda, où la plupart des gens cherchent des révélations sur les secrets de sa façon de peindre, donnent plutôt une clé pour mieux connaître la pensée, le regard sur le monde de l’artiste, et en même temps fournissent les éléments nécessaires à la compréhension de ses attitudes en photographie, puisque la photographie matérialise la magie du temps et de l’espace autant que toute autre expression artistique.

« Je me rêve dans un monde où je puisse marcher sur la dimension du temps, en avant, en arrière, vers le haut, vers le bas; où je puisse marcher, adulte, dans un temps où je fus en réalité enfant. » écrivait-il. Si cela est vrai, et nous n’avons aucune raison d’en douter, alors nous pouvons aussi considérer les photographies de Rozsda comme autant d’essais : pour retrouver les éléments du passé, les fixer, comme une expérimentation mettent en lumière des relations, des apparitions, des superpositions et la fusion des images entre elles.

On trouve dans cette oeuvre photographique aussi bien la recherche

d’un langage artistique formel, innovant, qu’un effort de capter une

sorte de document.

Il n’a pas utilisé la photographie comme une matière première

pour la peinture contrairement à beaucoup d’autres, à commencer

par Mihaly Munkàcsi, mais il l’a considérée comme un terrain

d’expérimentation où il pouvait collecter, essayer, tester le

fonctionnement et les effets des éléments-images. En examinant

les tableaux de Rozsda, en relisant ses interviews et en analysant

chacune des 20.000 photos qu’il nous a laissées, je me suis petit

à petit convaincu qu’il est impossible de séparer le peintre et le

photographe, qu’ils forment une seule entité au sein de laquelle

ils se complètent, s’expliquent et se reflètent l’un sur l’autre.

On peut démontrer facilement l’influence mutuelle qui relie ses

dessins, ses tableaux et ses photos, même si durant sa vie il ne

montrait que celles-ci rarement et dans l’intimité, ne les exposait

jamais. Dans ses dernières volontés, il a précisé que ses photos

ne pourraient être présentées qu’après les rétrospectives de son

oeuvre de peintre et de dessinateur. Cette condition a été

respectée avec les rétrospectives de 1998 au Grand Palais

(Mucsarnok) de Budapest et l’exposition de son oeuvre graphique

au musée des Beaux-Arts de la capitale hongroise où 160 dessins

ont été montrés en 2001.

Ces deux manifestations capitales ont été suivies par de

nombreuses autres expositions tant à Budapest qu’à Rome et

New York où le grand public a eu enfin la possibilité de découvrir l’oeuvre de Rozsda. Maintenant il est temps de faire connaître aussi son oeuvre photographique. Je vais essayer de montrer ma conception de l’unité de l’oeuvre artistique de Rozsda que complète nécessairement sa production photographique, par l’examen des similitudes et des différences que présente cette entité.

S’il fallait absolument ranger Rozsda dans un courant ou un groupe artistique – ce contre quoi il s’est dressé sa vie durant – alors la case dans laquelle on pourrait le glisser s’appellerait, selon l’opinion concordante d’un grand nombre d’experts, le surréalisme abstrait. «Qu’ils donnent leur âme en gage» comme on dit en Hongrie… Il est certain qu’à partir des années 40, son mode d’expression évolue en passant par de nombreux stades pour aboutir au non-figuratif, mais toujours tissé avec cette spécificité, propre à Rozsda, qui consiste à utiliser la superposition de plans, de temps et d’espace pour finalement transformer les éléments figuratifs en non figuratifs. Dans ses tableaux, les détails se superposent en plusieurs strates. Ils s’empilent les uns sur les autres comme les visions, les pensées et les émotions de leur créateur. Les minuscules éléments se structurent en une grande surface fertile en signification.

Reflet surréaliste (cca 1975)

On peut, par un examen minutieux, mettre à jour les éléments de la construction. S’ajoute à cette particularité picturale son utilisation débridée des couleurs fortes, violentes, ainsi que son traitement très personnel de l’espace. Il n’y a pas un endroit privilégié dans ses tableaux, dont toute la surface a une importance identique. Par conséquent, on ne peut pas en parler en terme de traditionnel espace peint ou interne. En évoquant sa peinture de « l’Ecole Européenne » Krisztina Passuth dit qu’il n’y a pas d’espace sur son canevas, seulement une surface sur laquelle les éléments de l’image foisonnent.

Nous pouvons retrouver ces mêmes foisonnements dans ses meilleures photos.

Ce qui n’est pas un hasard, car il faisait bouger sciemment son appareil pendant

la même pose, il exposait plusieurs images sur le même négatif tout en faisant

pivoter son boîtier à 90°, quelquefois à 180°, la conséquence étant que le bas

devenant le haut, le haut glissait à gauche ou à droite et le tout construisait une

surface-image excitante et difficilement déchiffrable.

Il faut être conscient du fait que cette synthèse n’est vue et est assemblée que

par le nerf optique ou dans l’imagination du créateur, puisque pendant le

processus de création, il est impossible de constater les résultats intermédiaires

des expositions, donc la matérialisation du cliché, le résultat n’étant visible

qu’une fois le film développé. Les doubles expositions, les mouvements giratoires,

les mouvements pendant les prises de vue se produisant simultanément, l’acte

créateur laisse aussi une place au hasard. Ses montages ne sont jamais le résultat

de diapos « en sandwich » ou de négatifs superposés au tirage ou sous

l’agrandisseur. Cette précision est importante, elle montre qu’il utilisait bel et bien

son appareil de photo comme un outil de création, comme son pinceau ; les

images ont été préparées dans son cerveau avant de se retrouver sur la gélatine

photosensible. Et c’est ce qui est important. C’est son idée qui existait à l’origine

avant tout, il choisissait ensuite l’outil, la matière pour sa réalisation.

Quelquefois, le pinceau et l’huile, dans d’autres occasions l’émulsion d’argent

gélatinée, en d’autres occasions encore, le papier et le crayon. « Quand je me

mets à peindre, je fais tout mon possible pour éliminer de la toile ce qui est blanc,

tout ce qui me dérangerait; Je me force de créer une surface trouble sur la quelle je puisse me mettre à chercher, en tâtonnant, un certain ordre qui, de degré en degré modifie l’ordre antérieur et crée un autre désordre. C’est le matériau qui crée la surface mentale d’où je peux partir à la recherche du temps. (…) On me dit souvent que je bâtis mes tableaux. Il n’en est pas question, car c’est le tableau qui me bâtit. Il me transpose de telle matière que je suis différent en terminant une toile de ce que j’étais en la commençant » Ceci est vrai aussi pour ses meilleures prises de vue. Sa façon de photographier ressemblait beaucoup à sa façon de peindre. Ses amis, sa famille, racontent comment il procédait : il se mettait devant le sujet qui l’intéressait et l’observait longuement. Dès que l’image extérieure et l’image intérieure s’assemblaient, il saisissait soudain son appareil et faisait un grand nombre de prises, généralement en changeant d’angle et en faisant de petites variations. Il appréciait certains thèmes qui revenaient des années durant, quelquefois pendant une décennie.

Les rois I. (cca 1978)

Vagabond (cca 1930)

Il a commencé à peindre vers l’âge de 14 ans et ses premières photos en

noir et blanc datent de la  même époque. Ses photos, ses peintures se

développaient, changeaient, mûrissaient avec le jeune homme. Ses premiers

clichés, noir et blanc, sont des autoportraits ou des événements de la vie

quotidienne, mais aussi un grand nombre de photos à sensibilité

« sociographique », telles que des pauvres, des gitans, des marchés, sujets

qui ont été ensuite totalement abandonnés. A Mohács, où il a appris les

techniques de laboratoire, le développement, l’agrandissement et selon toute

vraisemblance, chez Ede Weidlich, le maître photographe local.

La photographie l’a accompagné toute sa vie. « J’ai fait des choses que

j’appelais artistiques : des natures mortes, des morceaux de rues, une

demi-bicyclette, l’ombre d’un pont sur un paysage, des choses

photographiquement intéressantes. Dès que j’ai commencé à faire de la

photo, j’ai tout de suite pris ça très au sérieux. Il y avait un photographe à

Mohàcs, la ville où je suis né. Je faisais des photos que je lui donnais à

développer et à agrandir. Je n’étais jamais tout à fait satisfait du résultat. 

Le photographe m’a dit alors: « Si vous voulez être satisfait, faites vous-même

le travail. Je vous prête mon agrandisseur. » A partir de quinze ou seize ans, j’ai développé moi-même mes photos. Petit à petit j’ai commencé à éprouver une double attirance : je prenais la photo en vitesse pour pouvoir la développer. Je me suis aperçu que l’appareil photo était myope, qu’il était beaucoup plus apte à donner une véritable beauté par des détails, du moins pour moi. Je pense que tout cela, c’est la base de ma peinture. Dans ma peinture existe et subsiste cette volonté de faire de détails. »

En effet, les tableaux peints par l’homme mûr sont composés de détails minuscules concentrés et projetés l’un sur l’autre. Cette concentration est alors évidente dans les photos où « le dehors » et « le dedans » s’emmêlent intimement, comme par exemple, les images prises face à des vitrines de magasins.

J’ai fait cette comparaison pour illustrer sa façon de créer, car plus loin j’analyserai en détail ses thèmes photographiques et sa technique. Quand se fondent et se confondent pendant un moment les mannequins habillés, les fenêtres de la maison d’en face, les nuages traînant dans le ciel, les lampadaires de la rue, les arbres et le tourbillon des badauds, à la manière unique de Rozsda qui regarde l’instant mais voit le passé, alors se produit la même synthèse que l’on observe dans la plupart de ses peintures.

Dans ce tourbillon débordant de rêve, le reflet en miroir du

photographe est présent, indiquant que lui-même constitue

un élément vivant et actif dans ses images. Alors que tous

les détails sont identifiables, ils n’indiquent plus la chose

photographiée, mais ils prennent une signification nouvelle

dans la mosaïque de l’ensemble rêve de leur créateur.

Et c’est ainsi qu’ils adoptent les caractéristiques bien

connues de ses peintures et de ses dessins. « L’attirance vers

le reflet permanent et durable ne peut pas être autre, que le

souvenir de la rencontre de l’homme avec le miroir originel

et avec sa propre image renvoyée », écrivait Péter Nádas.

 

Non seulement il apprenait les techniques de laboratoire et

de prise de vue, mais il étudiait aussi la photo d’art.

« Je regardais beaucoup les photos des autres photographes.

En 1930, tout ça était beaucoup moins évident. Il y avait

beaucoup de très bons photographes à l’époque. Je me suis

lié d’amitié avec certains d’entre eux. J’allais à leurs expositions. Ils m’ont accueilli avec beaucoup de plaisir à cause de toute la considération que je manifestais à l’égard de la photo. A l’époque, la question « La photographie est-elle un art ? » était dans tous les journaux. Je pense que rien n’est un art en soi : il y a des gens qui font de l’art dans la peinture. Quand j’ai peint ma première nature morte, j’étais très sûr de moi. Je prenais cela extrêmement au sérieux. Je pensais qu’être peintre était le plus noble des métiers. Aujourd’hui, je pense que c’est complètement faux. En soi, un peintre peut être supérieur à d’autres peintres, c’est tout. Il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre. En soi, rien n’est de l’art. Je ne crois pas beaucoup à : « Parce que c’est peint, c’est de l’art. » La photographie peut être  tout: décoration, rendre la grand-mère encore visible, etc. Aujourd’hui je sais que l’art n’est pas une chose en soi. Mais à ce moment-là, je pensais: je suis un artiste ».

Reflets rouges II (cca 1985)

Ses sujets, sa technique

A ce titre, ses oeuvres sur l’émulsion d’argent, qui ont été retrouvées dans son atelier, chez ses amis, ou chez les membres de sa famille, témoignent d’une très grande variété. Il lisait les magazines spécialisés, expérimentait les techniques nouvelles. La photo l’a fasciné jusqu’à la fin de sa vie. Il a utilisé tous les supports, à commencer parle tirage-papier noir et blanc, en passant par le négatif couleur, mais la grande majorité de ses clichés a été réalisée sur diapositive, surtout dans la deuxième moitié de sa vie. Il a expérimenté un grand nombre de d’appareils photo. On a retrouvé quelques prises de vue de 1963 de Venise (4x4cm), puis un grand nombre de photos (diapos 18x24). Mais la très grande majorité des photos – des dizaines, des milliers – sont des diapos 24x36, développées par Kodak, sur cadres carton Agfa. Ces dernières ont été désencadrées, dans le but de pouvoir mieux les préserver, par le Musée hongrois de la photo, et après avoir été passées au scanner, avec leurs données détaillées et digitalisées, elles ont été conservées dans des sachets de stockage sans acide.

Par ailleurs, nous disposons d’un grand nombre de négatifs noir et blanc, datant de la période d’avant la deuxième guerre mondiale, aussi bien que, mais dans une moindre mesure, de négatifs couleur qui attendent d’être scannés et agrandis. Rozsda n’ayant jamais montré ses photos au public, il n’existe que peu de tirages papier à partir des négatifs. Il en a fait lui-même dans son laboratoire, chez lui, ainsi que des agrandissements noir et blanc 30x40, mais il s’est aussi adressé à deux ou trois laboratoires professionnels à Paris. Ses favoris ont été Dupont – Laboratoire Photographique Professionnel, 74 rue Joseph de Maistre, Paris 18ème, et Photo-Play, qui compte sept points de vente à Paris. Après avoir passé en revue une vingtaine de milliers d’images, certains concepts de regroupement, d’organisation, se sont mis en place tout naturellement, classements dont Rozsda luimême n’avait pas conscience, mais qui, avec le recul, structurent toute son oeuvre avec beaucoup de précision.

Dès le début, il s’est photographié lui-même et a continué pendant des années à observer le moindre frémissement, le moindre changement, enregistrant ainsi avec son appareil les signes et les traces du temps.

A travers ses autoportraits – préparés souvent à l’aide

d’accessoires (théière, coupe-vent de moto, miroirs,

surfaces brillantes de verre) – il se retourne et nous

regarde, l’homme qui se cache, mais qui veut aussi

se montrer.

 

Ses autoportraits nous évoquent un Narcisse qui se

cherche constamment et qui solicite la réaction

des autres. Ils évoquent aussi un Janus (sur les photos,

mais aussi sur ses dessins) qui regarde l’avenir avec

un visage et le passé avec l’autre, le plus souvent,

lorsqu’on les voit superposés, sous plusieurs angles,

mystérieux, un peu futuristes et, à un autre moment, 

rayonnants, avec uneexpression démoniaque, diabolique. 

Il se sert également de lui-même, souvent aussi comme

modèle, pour ses peintures et ses dessins.

C’est un homme qui s’observe, qui se cherche, qui recherche uniquement en lui-même les réponses aux questions posées par le monde, et qui tente désespérément de comprendre par la peinture, le dessin et la photo, donc par son émotion d’artiste, ce qu’il n’arrive pas à comprendre avec son seul cerveau rationnel, avec son intelligence. Sur un autoportrait peint en 1937, la moitié de son visage est complètement dans l’ombre, et nous retrouvons cette déchirure démoniaque sur l’autoportrait à l’encre, vers 1970, où plusieurs plans du visage sont projetés l’un sur l’autre, soulignés par la fleur noire d’une bouche charnue. En 1960 il se représente avec les cheveux qui se dressent comme deux cornes, évoquant les autoportraits où il se photographie avec une lumière provenant du bas, donnant aussi à son visage un aspect diabolique.

Autoportrait (1978)

En plus de ses autoportraits, il photographie les extérieurs et intérieurs de son environnement familier, son atelier. Nous pouvons voir, des fenêtres de son atelier et de son appartement qui se trouvait au-dessus, les jardins du Bateau Lavoir et les escaliers de la colline d’en face à tous les moments de la journée et à chaque période de l’année. Quelques rues de Paris apparaissent, et, curieusement aussi, les alentours du Sacré-Coeur, son grand escalier, et quelquesfois des murs.

Il y a aussi des photos de ses amis, des hommes qui dans différentes périodes de sa vie lui ont été proches. Sans doute parce qu’il a éprouvé des sentiments, ou certaine attirance, pour ces personnes, ces photos n’appartiennent pas vraiment à son oeuvre artistique, comme le sont les photos construites, par lesquelles il cherchait à apporter des solutions aux problèmes esthétiques qu’il rencontrait.

Un bon nombre de clichés ont été pris pendant des voyages, et parmi ceux-ci quelques-uns de Budapest et de Szentendre. Visiblement, ces photos saisissaient avant tout les motifs, les souvenirs, les expériences et qu’il voulait évoquer visuellement plus tard.

En tant que touriste, et même lors de son retour en Hongrie, il n’a pas fait

de photos aussi inspirées et d’aussi grande qualité qu’à Paris. Venise et

Florence constituent des exceptions. A Paris il partait souvent se promener

avec ses appareils – surtout quand les conditions météorologiques étaient

extrêmes et la lumière bizarre – pour chasser les aventures visuelles.

Il recherchait avec ces photos dans le monde extérieur, ses images

intérieures, ses visions ; ne retenait que celles avec lesquelles il ressentait

un lien fort. « Je me promène dans des rues anciennes; je cours derrière

les mots envolés, les cerceaux lancés, les amours perdus. Assis sur la

terrasse je me regarde de loin. Je cherche de nouveaux liens et je tache

de trouver des réponses qui posent des nouvelles questions. (…) Je tresse,

je file les cordes pour pouvoir monter et descendre, pour atteindre des

hauteurs et des profondeurs d’où voir les choses d’en bas ou d’en haut.

Je porte les perspectives en moi, l’horizon est en haut, en bas ou hors

du tableau, et des lignes qui courent se rencontrent quelque part. Le ciel

bleu est quelquefois blanc; l’herbe verte est souvent rouge. La trame des

capillaires englobe tout, tout vit, les pierres sont molles; l’eau se dresse,

pétrifiée, sur le point des pieds. La lumière rayonne et me transporte au

loin. » 

 

Ce texte, avec ses expressions peut-être surréaliste, définit précisément

la façon de regarder de Rozsda le photographe.

Ses nombreuses photos de la nature sont autant de frémissements fragiles,

de réflexions d’images-souvenirs: les bourgeons gonflés, la fine courbure

des vertes collines, le champ rouge éclatant des coquelicots, la perle d’une goutte de l’aube sur une feuille rougeâtre de vigne sauvage, les feuilles d’automne rabougries, repliées sur elles-mêmes, la lumière blafarde traversant une feuille sèche et craquelée, l’ombre d’un arbre comme le bras géant d’une horloge imaginaire. « Le temps qui passe, le temps irréversible, c’est à mes yeux ce qui fait la valeur de l’existence, ce qui la rend précieuse. »

Les flaques d’eau où miroite le reflet des maisons miroitant dedans. Ciel bleuâtre, nuages de tempête, traînées de condensation, arc-en-ciel… terre et ciel. L’illusion unifiée d’en bas et d’en haut. Les fenêtres et ce qu’elles voient. L’ici et l’au-delà sur la même image. Les lits, les amants, les rues, les parcs.

« Je me rêve vivant dans un monde où je puisse marcher sur la dimension du temps, en avant, en arrière, vers le haut, vers le bas; où je puisse marcher adulte, dans un temps où je fus en réalité enfant. Et enfant maintenant que je suis vieux. J’ouvre les fenêtres pour voir au-dehors. J’ouvre les fenêtres fermées pour voir au-dedans. » Dans ces photos, la question du « dedans » et du « dehors » est fondamentale, l’interaction, le jeu de détails du réel et le reflet du réel. Il y a littéralement, des milliers de photos dans lesquelles il cherche les réponses possibles à ces problèmes qui l’intéressent profondément : dans les fenêtres ou les vitrines, les ombres qui se superposent et se reflètent avec l’image réelle sur les surfaces de verre, et tout cela renvoyé en miroir sur une autre surface. Les mannequins des vitrines en guise de personnages réels sur le verre qui nous sépare d’eux, le reflet du monde extérieur, le vrai, se confondant avec lui.

Le « dehors » et le « dedans » simultanément, sa problématique sur une seule image, en arrangeant les surfaces qui se reflètent dans un cadre (photo), il crée des montages naturels, réalisant ce qu’il réalise dans tous ses tableaux en peignant les éléments l’un sur l’autre, en les juxtaposant. Il faut considérer ces photos comme des outils de recherche pour les problèmes esthétiques qui le préoccupaient sur le moment, puisqu’il ne voulait ne faire ni des photos souvenir, ni fixer le sujet pour lui-même.

Escaliers (cca 1980)

On retrouve dans sa pensée des éléments caractéristiques des créateurs

surréalistes – ses méditations, ses peintures, ses dessins et maintenant,

c’est évident, ses photos le montrent – qui cherchaient à exposer un

monde qui ne peut être appréhendé qu’intuitivement.

La végétation, les fleurs, les détails des plantes sont des motifs récurrents

dans les tableaux de Rozsda. Nous pouvions donc supposer que ce

thème jouait un rôle de première importance dans ses photos. En réalité,

un nombre significatif de ses photos sont des fleurs, la nature moitié 

florale, les pétales, le calice, le pollen, détails soulignés par la lumière de

l’ensemble. Il conservait dans son appartement une ou deux fleurs, ou un

bouquet desséchés, pendant des années. Les fleurs fanées apparaissent

souvent dans ses photos, mais il aimait aussi les plantes et les fleurs vivaces.

Les calices couleur sang, les rainures à l’intérieur des calices, les ronds

concentriques décoratifs, les pollens, les stigmates des fleurs. Quelquefois

il a donné vie à son fameux dessin « La fleur monstrueuse » en utilisant

sa technique habituelle d’expositions multiples; à d’autres occasions il a

trouvé des formes érotiques dans l’intérieur, les stigmates, en les 

photographiant à quelques centimètres en utilisant des macro-objectifs.

Bien entendu, il a aussi utilisé la photographie à des fins traditionnelles,

documentaires.

 

Il a photographié beaucoup de ses tableaux à peine terminés sur le

chevalet. On trouve aussi parmi ses photos des objets d’art qui l’ont

séduit et sur lesquels il a travaillé quelquefois avec son appareil en les reflétant, les découpant ou en faisant des montages. Il a découvert une fois dans un cimetière parisien une statue placée sur une tombe et qui lui a renvoyé sa propre image.

Fleurs (cca 1975)

La ressemblance est effectivement étonnante. Il en a fait des dizaines de clichés, et ses amis  racontent qu’il passait souvent devant cette statue, en montrant cette découverte qui s’intègre parfaitement à sa conception du temps : l’ambiguïté de présent par rapport au future et au passé. Il était également intrigué par l’image sur l’écran de télévision, en fixant cette image sur film, il retenait à nouveau cet effet de l’image dans l’image….

Je n’arrive pas à savoir exactement pourquoi il a saisi le portrait d’autant d’hommes politiques et d’autant de célébrités au cours des émissions de télévisions françaises, mais je n’abandonne pas l’idée d’une recherche de même effet, et, je continue à y penser. En tout cas, ce ne peut pas être un hasard, car la quantité de photos ainsi obtenues est beaucoup trop grande – il faut trouver à cela une explication valable, crédible.

Ses meilleures photos sur le plan de l’esthétique captent les effets multiples

de sa combinaison entre l’ombre et la lumiére. Les rayons du soleil venant

de l’extérieur et traversant les rideaux, les stores, qui, en se heurtant aux

objets situés à l’intérieur, créent ainsi de nouvelles images, l’ont beaucoup

inspiré. Ses proches peuvent reconnaître sa chaise préférée, des scènes de

sa vie quotidienne, ses objets personnels, parmi les éléments qui composent

ses photos. « J’apparais ici ou là, moi-même, un pinceau à la main, pour

fixer rapidement le passé. » S’il pense qu’il fixe le passé avec son pinceau,

alors il ne fait pas autre chose avec son appareil photo qui est plus simple

et plus rapide à mettre en oeuvre.

Mais arrêtons-nous un instant. Cette phrase me fait penser qu’en général,

la majorité des photographes fixent le présent, et l’instant devient le passé

par le cliché. Il en va tout autrement de Rozsda : il cherche – comme il l’a

exprimé lui-même les reflets du passé même dans ce qu’il voit du présent.

Lorsqu’il photographie un objet dans le présent, pour lui il devient le passé

avant même d’avoir pressé le bouton de l’obturateur, modifiant ainsi un peu

la thèse philosophique habituelle.

« Je photographie ce qui n’est plus là, ce qui s’enfuit. Le bien et le mal sont déjà ailleurs. Je reste, je pêche sans ligne et sans filet, j’attrape d’étranges poissons : poissons parlants, moi, le pêcheur muet » Vous pensez aussi, sans doute, au film génial d’Antonioni, «Blow Up», qui tourne autour de cette même problématique. Avec une autre forme d’expression, dans son film, Antonioni exprime la même chose. J’aimerais bien savoir si Rozsda a vu ce film, à l’époque à Paris; je suis presque sûr que la réponse est oui, et vraisemblablement plusieurs fois, tout comme l’auteur de ces lignes.

Je regrette d’avoir à poser ces questions après la mort de l’artiste car je ne peux savoir finalement, si mes hypothèses sont justes. Malgré tout je considère que j’ai beaucoup de chance d’avoir pu, avec l’aide d’une vingtaine de milliers de photos, comprendre et ressentir le monde intérieur secret de ce créateur exceptionnel. D’une part, le but de cet ouvrage, comme de l’exposition, est de vous faire partager cette expérience formidable et d’autre part, de souligner ma conviction que la photo avec ses possibilités, ses potentialités, est une forme d’expression artistique égale aux autres formes, plus conventionnelles des beaux-arts.

(2004)

Rideaux (1933)

Transition III (cca 1980)

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