top of page

Tamás Ónody : Icône

« Dans ma peinture, le temps remplace la perspective à trois dimensions.

J'ai essayé de retrouver le temps, le temps comme histoire. » Endre Rozsda

 

Le temps est au centre de la dernière période de l’œuvre d'Endre Rozsda (de la fin des années 60 jusqu’à aujourd'hui).

Quel temps ? On ne dénombrera pas ici toutes les tentatives qui ont eu lieu pour représenter plusieurs états du temps dans un seul tableau. Parmi les plus récentes depuis le moyen âge - où ont fleuri ces tableaux comportant dans un seul cadre plusieurs scènes juxtaposées de la vie du Christ ou des saints etc., - nous citerons le futurisme, mais, justement, pour bien différencier cette orientation de celle de Rozsda. Pour les futuristes, en effet, ce n'est pas tant le temps que le mouvement qui est premier et qu'ils ont cherché à rendre, par toutes sortes de procédés dans lesquels le temps a joué un rôle secondaire.

 

Rozsda, au contraire, cherche rendre la texture même du temps, et son épaisseur, sa densité, ses stratifications sont proprement parler celles de la mémoire, dans chacun des tableaux de cette période. Chacun de nous reçoit des projections de cet autre monde qu'est pour lui sa mémoire, asservie à la logique propre des associations, où rien n'est exact ni définitif mais où tout est vrai, quand même coexistent des figures apparemment contradictoires. Ce sont des tableaux qui invitent le spectateur à entrer dans sa propre mémoire, s’y perdre autant qu’à s’y trouver, de manière inédite pour lui, par le truchement du seul regard.

 

Cette recherche sur la structure même du temps et son lien avec le regard se prolonge dans I'histoire de la peinture, ce dont le tableau intitulé Icône témoigne particulièrement. L’invention d'une nouvelle perspective à la Renaissance a tellement structuré notre regard que même l'abstraction ne s'en est pas vraiment détachée. Mais l'icône, elle, lui échappe, de toujours. Icône de Rozsda est, en ce sens, une trouvaille et une limite : dans le plan qui est d'usage dans ce type pictural, il a pu introduire sa propre troisième dimension qui est celle de la mémoire. Il l'a fait en semant ça et là des images ou des figures que l’on croit, soudain, pouvoir tenir et identifier. Mais elles gardent leur secret, apparaissant selon un ordre qui se montre mais ne peut se dire, figures la fois flottantes et fixes qui sont le support précis et discontinu du souvenir.

Icone.jpg

Icone (1975)

Si vite ou insidieusement que se dissipent, alors, les petites taches de couleur qui marquent le seuil abstrait du tableau, apparaît, sans s'imposer pourtant, l'ombre d'une tête, qui évoque bientôt le visage de la Vierge, dont les contours et les traits vont devenir de plus en plus instables, imprécis par principe, n’organisant jamais une vision impérative du tableau, défi aux lois de la perception qui organisent la préséance d'une forme sur un fond. Le tableau devient, plus on le regarde, un moment de l’œuvre, une stase dans l'histoire de la peinture elle-même, une coupure dans ce temps qui nous fait de plus en plus défaut : le temps pour regarder, sans doute, mais surtout pour comprendre la nature même de notre regard, qui est de voir, de contempler ce rien parfait, ce vide absolu, ce pur nom qu'est le temps.

La Cause Freudienne, n° 39, 1998

bottom of page