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PASCAL BONAFOUX : Singularité : l’œil en fête

Ce nom : Endre Rozsda, ne vous dit, je le soupçonne, pas grand-chose. Rozsda ? R.O.Z.S.D.A. (Les lettres Z et S se prononcent plus ou moins comme un J dur mouillé par un CH...) Sauf si, mais je doute que ce soit le cas, vous avez vu l’exposition que lui a consacré de juin à septembre 2001 le cabinet d’art graphique du Szépmuvészeti Muséum de Budapest. Il vous reste à suivre Dominique Desanti :

« Vers la fin des années 50, dans un logis de banlieue, un peintre nous montrait ses toiles, avec la pleine conscience d’avoir créé une œuvre, et l’élégante dignité d’un émigré politique qui espère être compris... Françoise Gilot, son amie, nous avait juste dit : « Vous verrez. » Que vous entendiez ce « Vous verrez » une bonne quarantaine d’années plus tard, que vous l’entendiez quelques années après la mort de Rozsda en 1999, n’implique pas qu’il soit trop tard. Vérifier que « l’orgueilleuse certitude d’Endre Rozsda d’avoir réussi ce qu’Eluard nommait "le dur désir de durer" s’est accomplie », ce qui est la certitude de Dominique Desanti, suffit. Si une telle œuvre a été négligée, reléguée dans ces marges qui sont l’antichambre de l’oubli, c’est parce que, ni à Paris entre 1938 et 1943, ni à Budapest jusqu’en 1956, ni après son retour définitif à Paris après l’entrée des chars russes dans Budapest, Endre Rozsda n’a jamais appartenu à un quelconque mouvement répertorié par la critique puis entériné par l’histoire de l’art. Or rien en regard des critères retenus par les clercs qui ont établi l’histoire de la modernité, de manifestes en avant-gardes, n’est plus impardonnable. Certaines toiles de Rozsda semblent répondre à leur compte ces métamorphoses provoquées par surréalisme, mais Rozsda n’est pas surréaliste. Qui plus est, ce qui ne pouvait que décourager tout commentaire, les tableaux de ce peintre « n’offrent prise à une quelconque approche iconologique ». Remarque de David Rosenberg qui fut commissaire de l’exposition présentée l’an dernier à Budapest et qui a dirigé ce livre, le premier qui soit consacré à l’œuvre de Rozsda.

C’est par la diversité des textes rassemblés que, page après page se compose l’introduction la plus pertinente qui soit à ce peintre inclassable, solitaire. Etudes, témoignages et poèmes composent une manière de kaléidoscope qui s’accordent à l’irisation des toiles comme à la pureté des lignes des dessins. Du constat d’André Breton fait en 1957 : « Voici le haut exemple de ce qu’il fallait cacher si l’on voulait subsister, mais aussi de ce qu’il fallait arracher de nécessité intérieure à la pire des contraintes », à celui d’Erik Orsenna : « II accueille des moments, des rythmes, de très vieux souvenirs, comme les ruines de régions ensommeillées et une foule de détails, éberlués d’être ainsi célébrés », paraît peu à peu la singularité essentielle du peintre.

Singularité qui est celle de la poésie. Il reste à vérifier qu’une « description » comme celle de Joyce Mansour est la seule qui vaille : « Un tableau de Rozsda, cela fait penser à l’extravagant gaspillage de la forêt automnale, aux pommiers en fleurs après la mort du soleil, à l’or oculaire, malléable et immobile, tout frais sorti des chants du pays des Magyars... » Il reste enfin à succomber au charme d’une œuvre à laquelle ces quelques lignes de Rozsda même tiennent lieu de manifeste : « J’éclaire des objets et des hommes, réveille des dormeurs, éveille les morts. Je les fais parler d’événements qu’ils n’avaient peut-être jamais vécus. Je capte des sons, je tisse des fils multicolores pour les attraper et j’écoute leurs appels. Je saute ici et là, pinceau en main, occupé à vite fixer le passé. »

Reste une question : quel musée pourrait au plus tôt faire en sorte que l’on reconnaisse ce passé incomparable ?

Le Magazine Littéraire n°413, Octobre 2002

Locomotive (cca 1970)

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